« Espérer contre toute espérance. »

Bertrand

Le Liban: on ne peut pas prononcer le nom de ce pays sans penser aux difficultés de tous ordres qu’il traverse. Comment font les gens pour tenir debout? Bertrand, qui vit au Liban depuis très longtemps, nous partage ce qui l’aide à garder l’espérance.

Avec cette pandémie qui n’en finit pas, qui fauche parents, amis et connaissances et qui nous confine de plus en plus, bien des questions surgissent sur la mort, la solitude, le sens de cette vie…. et peut-être la question qui sous-tend toutes les autres : Quelle est mon espérance en ces temps si difficiles ?

A plusieurs reprises ces derniers temps, j’ai essayé d’encourager des amis par cette petite phrase : « Toujours en avant, avec confiance et espérance ! ». Aussi dans nos directives, rédigées après le lancement de « oukhouwetna » (« notre fraternité ») en avril 2014, nous avons fondé notre petit groupe interreligieux sur 3 principes fondamentaux : amour/vérité , respect et espérance.

Mais qu’est-ce qui fait que je garde espérance devant tous ces problèmes qui nous submergent et risquent de nous écraser ? Saint Paul écrit, en parlant d’Abraham : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples, selon la parole : Telle sera ta descendance. ». Il établit un lien direct entre la foi et l’espérance. Et dans Rom 4,20-21, il poursuit : « Devant la promesse divine, il ne succomba pas au doute, mais il fut fortifié par la foi et rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu que, ce qu’il a promis, Dieu a aussi la puissance de l’accomplir. ».

Au Liban, dans les circonstances dramatiques actuelles, qu’est-ce qui me fait tenir ? A quoi est-ce que je m’accroche et qui m’aide à avancer et à espérer ?

Avant de répondre à ces questions, faisons un petit détour dans les 3 grandes traditions religieuses qui prennent Abraham comme « Père des croyants », on pourrait dire « Père des croyants qui espèrent » :

Dans le livre de la Torah, Dieu veille sur l’humanité pécheresse et s’engage avec elle. Mais c’est avec Abraham que commence vraiment l’histoire de l’espérance biblique. La promesse est simple : Une terre et une nombreuse postérité. Pendant des siècles, les objets de l’espérance d’Israël resteront du même ordre terrestre : « la terre où coulent le lait et le miel » (Ex, 3, 8.17) et toutes les formes de la prospérité. Face aux vicissitudes de l’histoire, les prophètes vont ouvrir de nouvelles perspectives. L’infidélité même du peuple ne doit pas l’empêcher d’espérer. Si le salut peut tarder, il est certain, car c’est le Seigneur, fidèle et miséricordieux,  qui est son espérance. Les prophètes aspirent aussi au jour où Jacob sera rempli de la connaissance de Dieu, parce que Dieu aura renouvelé les cœurs du peuple choisi, tandis que les nations se convertiront. Pour les prophètes, l’espérance d’Israël et des nations, c’est le Seigneur lui-même et son règne.

Dans l’Evangile, comme je l’ai déjà mentionné, nous sommes appelés comme Abraham à « espérer contre toute espérance », en raison de notre foi aux promesses (Rom 4, 18-25) et de notre confiance en la fidélité de Dieu. L’espérance de Paul, c’est avant tout d’être avec le Christ. L’espérance johannique ne cesse pas d’être attente du retour du Seigneur, de la résurrection et du jugement, mais elle préfère se reposer dans la possession d’une vie éternelle déjà donnée maintenant au croyant. A la fin du Livre de l’Apocalypse, l’Epoux promet : « Mon retour est proche ». Et l’Epouse lui répond : « Viens, Seigneur Jésus ! » (« Marana tha ! »).

  Le Coran et la tradition musulmane accordent une place particulière à Abraham, « Sayyidna Ibrahim » (« notre père, notre maître Ibrahim »), dénommé « khalil  Allah » (« l’ami de Dieu »). Il est présenté aux musulmans comme le vrai croyant soumis à Dieu. Dans son cheminement vers son Seigneur, le musulman oscille entre la crainte et l’espérance, la crainte que ses œuvres ne soient pas agréées et qu’il  soit châtié à cause de ses péchés et l’espérance d’être guidé, de voir ses œuvres acceptées, ses péchés pardonnés et d’entrer au Paradis. Le croyant musulman met toute son espérance dans le pardon et la miséricorde de Dieu.

Et finalement pour moi aujourd’hui, dans notre secteur Liban-Syrie secoué actuellement par tant de crises (économique, financière, sociale, politique et sanitaire…) et de drames humains, qu’est-ce qui me fait tenir debout et espérer ?

Tout d’abord, ce qui me fait vivre, ce sont tous les liens  tissés depuis 40 ans avec  des voisins, des collègues et des amis. Ce long chemin de vie ensemble, marqué au Liban par des tensions, des conflits, mais aussi des années plus paisibles, nous a profondément liés les un(e)s aux autres et nous aide à affronter ensemble la dure réalité actuelle.

Ensuite, c’est notre vie de fraternité qui nous stimule, nous soutient et nous procure vie et joie, mais  qui parfois nous déçoit et nous fait souffrir à cause de nos histoires et nos personnalités si différentes et des limites de chacun; c’est une réalité vivante qui nous permet d’exister, de mûrir et de grandir, mais qui nous remet aussi à notre place et nous émonde. Essayer de vivre la fraternité entre nous, patiemment, jour après jour, est vraiment une réponse, à notre niveau, au grand défi actuel de l’accueil de l’autre différent et du vivre ensemble.

Entre frères à Beyrouth

C’est aussi  le courage de tant de femmes et d’hommes de par le monde qui luttent actuellement pour le respect des droits humains et pour la sauvetage de notre Terre  et de toutes les personnes qui s’engagent activement dans leur pays pour plus de vérité, de justice et de démocratie, parfois au prix fort, comme par exemple en Biélorussie depuis des mois. Cela aussi me donne du courage et me fait espérer qu’il n’y a pas de fatalité et qu’on peut s’engager, là où l’on habite,  pour plus d’humanité, de justice et de paix.  

  Enfin, c’est la foi que Dieu réalise ses promesses. Dieu est « le rocher ». Ce nom symbolise son immuable fidélité, la vérité de ses paroles et la solidité de ses promesses. Au long de l’histoire du salut, Dieu reste fidèle, même si nous nous ne le sommes pas : « Si nous lui sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tim 2, 13)

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