À la ville ou à la campagne, chronique de la « vie ordinaire »

En Pologne, nous avons deux fraternités : avant d’être élu à la Fraternité Générale, Mirek vivait dans celle qui est située dans un quartier populaire de Varsovie ; Kazek vit dans la deuxième, à la campagne, à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Ils nous partagent ici quelques moments de ce qui fait leur vie :

De Kazek

Chers Frères,

Des salutations aussi chaudes que notre été.

J’ai un peu de mal à décrire en français mes impressions, expériences, sentiments que, comme vous le savez bien, j’exprime très spontanément de façon régulière en polonais…

Donc:

1. En juin, nous avons eu notre réunion régionale ; nous avons choisi Wojtek comme responsable (pourquoi changer celui qui est bon ?) et dans le nouveau conseil le plus vieux (moi), et le plus jeune (Filip). Je suis curieux de voir comment ça sera dans le vécu…

2. Travail continu dans la maison et autour de la maison (pelouse, compost) et nos « cultures », dans la serre : tomates, salade, radis, fenouil.

J’aime beaucoup ce travail, mais cela prend beaucoup de temps dans ma vieillesse…

3. Comme chaque année, j’avais mis au programme une sortie en canoé. Il s’agissait cette fois d’un fleuve frontière (Ukraine, Biélorussie) le Bug, avec l’obligation d’informer quotidiennement les postes des gardes-frontières. J’ai navigué environ 270 km. Parcours un peu trop long mais ça en valait la peine ; rivière sauvage, champs intéressants, longtemps seul, rencontres précieuses. Presque une retraite.

La chapelle de la fraternité de Truskaw

4. Vie quotidienne ordinaire mais inhabituelle car il y avait beaucoup d’invités différents, malgré la réalité Covid, également chaque mardi réunion avec adoration et Sainte Messe.

Filip nous a rejoints à Truskaw (notre fraternité dans la banlieue de Varsovie), ce qui a changé la qualité de notre vie à la cuisine (plats variés), à la chapelle (chant) et au quotidien (humour).

J’écris en retard, et donc le circuit cycliste que nous faisons tous les ans dans les régions de Zamość et Roztocze est derrière moi. Cette année, nous étions 5 car Ewa (la femme de notre ami Andrzej) et Filip, notre jeune frère, nous ont rejoints.

Quatre voyages plus longs dans la région et une visite aux Petites Sœurs de Jésus a Machnów Stary et visite de la ville de Zamość sous la pluie : c’était intéressant, assez fatiguant car, malgré la pluie, il faisait très chaud.

Meilleures salutations et à la prochaine.

Avec Dieu.

* * * * * * * * *

De Mirek

Chers frères !

Depuis quelques années, je vis avec Wojtek dans le quartier populaire de la vieille ville de Varsovie, qui, contrairement à la rive gauche de la capitale, n’a pas été détruit par la conflagration de la guerre. De mes 23 années dans la communauté des Petits Frères de Jésus, c’est ici que j’ai vécu le plus longtemps, bien qu’avec des frères différents.

L’immeuble de la fraternité

Notre immeuble est resté pratiquement inchangé pendant des décennies, mais, ces dernières années, notre pauvre quartier a commencé à beaucoup changer : quelques nouveaux immeubles ont été construits pour des nouveaux riches, quelques artistes et des “hipsters” ont commencé à apparaître dans le quartier, et même de plus en plus de touristes. Lorsqu’un guide touristique m’a récemment appelé, m’encourageant à rencontrer son groupe, j’ai pensé que c’était une exagération. Notre quartier était autrefois évité et boudé parce qu’il avait mauvaise réputation, mais aujourd’hui, au contraire, il devient de plus en plus attrayant. Et comment les habitants de ce “musée en plein air” du XIXe siècle sont-ils censés se sentir dans une capitale qui se modernise rapidement ? Comme des Indiens d’Amérique du Nord dans une réserve ? C’est peut-être un signe pour changer de lieu… Et de fait, c’est ce qui nous a été communiqué par l’administration du district, il y a presque trois ans, en raison du « désastre de construction » qu’est censé être notre maison de location. Au début du mois de juillet, une véritable catastrophe s’est produite : le bâtiment situé dans la rue parallèle à la nôtre s’est effondré. C’est peut-être la raison pour laquelle, le même jour, on nous a dit de déménager dans un autre appartement de notre quartier, dans des conditions similaires aux nôtres, mais beaucoup plus petit (42m2), ce qui rend difficile la vie de plus de deux frères. C’est dommage pour moi.

Je vais peut-être écrire un peu sur mon boulot. Je travaille dans une école primaire depuis plus de huit ans, comme homme à tout faire. L’année dernière, avec la pandémie, notre école a connu des grands changements. Tout d’abord, en raison de la grande réforme de l’éducation en Pologne, qui a supprimé le niveau intermédiaire dans l’éducation, l’école intermédiaire de 3 ans, et n’a laissé que les écoles primaires, maintenant prolongées de 2 ans, et les écoles secondaires, prolongées d’un an. De plus, l’année dernière, nous avons procédé à une énorme rénovation de l’ancien bâtiment, en quittant un autre et en déménageant dans un nouveau bâtiment également entièrement rénové. Je travaille donc maintenant dans une école située dans deux bâtiments différents, non loin l’un de l’autre. Malgré ces rénovations, elle présente divers défauts et travaux inachevés. De plus, les enfants qui ont fréquenté l’école pour une courte période cette année ont déjà réussi à faire beaucoup de dégâts grâce à leur énergie inépuisable. Comme homme d’entretien, je ne manque donc pas de travail, mais j’en suis généralement reconnaissant.

Mirek au travail

Fin mai, j’ai ressenti la grande joie de pouvoir rencontrer des personnes vivantes, des enfants perdus de vue depuis longtemps, des membres du personnel de l’école, des parents… qui ont insufflé la vie dans les murs morts de l’école. Les enseignants avaient accumulé tellement d’énergie pendant la pandémie qu’à leur retour, ils ont décidé de mettre en œuvre probablement tous les projets et idées pédagogiques en suspens. Alors qu’habituellement à partir de la mi-juin, il ne se passe pas grand-chose dans une école normale, cette année, dans notre école, l’activité pédagogique a augmenté chaque jour et a atteint son apogée la dernière semaine de juin. De ce fait, on avait besoin de mon aide dans différents domaines, notamment en tant que porteur et monteur de diverses installations de fortune. Je dois admettre que j’étais au bord de l’épuisement, et peut-être même au-delà. Je suis donc très heureux des trois semaines de vacances qui m’attendent.

Je vous salue chaleureusement. Restez avec Dieu

« Je découvre une autre manière de prier. »

Après des années de vie au Proche-Orient puis à Turin, Domenico vient de rentrer dans une maison de retraite : surprise de découvrir que l’apprentissage de la vie continue avec cette nouvelle étape ! En particulier des nouveaux chemins qui s’ouvrent pour la vie de prière :

Bien chers frères,

Voilà trois mois que je suis dans cette maison pour personnes âgées des Petites Sœurs des Pauvres. Par moments, j’ai encore un peu du mal à penser que je suis ici pour la vie et que ma vie maintenant, c’est dans ce cadre qu’elle se passe… C’est que la vie en petite fraternité, malgré les difficultés qu’on peut avoir, est bien quelque chose qui petit à petit nous façonne et devient partie intégrante de nous-mêmes.

Étant très libre dans l’organisation de ma journée, je passe plus de temps seul à la chapelle, et je prie surtout en partant des lectures de la messe du jour.

Mais actuellement, en me promenant matin et soir, dans le mini-parc aux grand arbres qu’il y a derrière notre bâtiment et fait partie de la maison, je découvre aussi une autre manière de prier.

Devant l’entrée des Petites Sœurs de Pauvres à Turin.

Elle est faite d’admiration face à tout ce que j’entends et vois. Le matin, on entend le gazouillis de la mésange et l’appel du coucou qui saluent le nouveau jour ; les arbres se revêtent de plus en plus de couleurs, du rouge au jaune et à toutes les nuances du vert. Sur les larges feuilles d’hortensia les gouttelettes que la pluie de ces jours-ci a déposées sont une vraie merveille de transparence et clarté. Il y a aussi des petits écureuils qui, avec leur queue touffue, s’enfuient ou se mettent sur leur garde dès qu’ils entendent des pas. J’en ai vu deux qui s’amusaient l’un à monter et l’autre à descendre à toute vitesse du tronc d’un des gros arbres de l’allée centrale. Dans un coin, il y en avait un autre qui, debout sur ses pattes arrière, grignotait des fruits secs, pignons, cacahuètes, amandes, que quelque pensionnaire avait laissé sur le chemin.

Enfin on peut voir une vingtaine de pigeons qui se promènent et s’enfuient dès que quelqu’un passe ou s’assoit sur les bancs de pierre qui se trouvent le long de l’allée centrale et sur les sentiers latéraux qui côtoient le mur d’enceinte. Mais s’ils voient que celui qui arrive jette quelque chose par terre, ils se précipitent pour ramasser des miettes ou des morceaux de pain jetés. En regardant ces pigeons généralement gris, quelques-uns entièrement blancs ou noirs qui peuvent aussi venir tout près à la recherche de nourriture, ce que j’admire c’est la finesse et régularité du dessin de leur « manteau » : dans leur simplicité, ils sont bien mieux habillés que « Salomon dans toute sa gloire » !

Ce sont ces toutes petites choses et d’autres aussi, comme, ce matin, le bonjour d’une des vieilles dames avec qui on monte et descend en ascenseur : voyant que je me promenais sur la terrasse, avec un grand sourire, elle m’a fait signe en tapant sur la vitre de sa fenêtre. Domenico 2

Tout ceci me parle de Dieu, de sa paix, de son amour et de sa providence et me met dans un grand calme intérieur.

Voilà, frères, un petit écho de ma nouvelle vie à Turin.

Domenico

Peur et solidarité: retour sur la période de pandémie

Les règles de confinement lié au COVID étaient bien différentes d’un pays à l’autre. Jean-Baptiste-Trac, du Vietnam, était allé donner un coup de main aux frères des Philippines : il s’y est trouvé bloqué plus d’un an sans pouvoir revenir au pays ; et au retour, il a lui-même été contaminé… Heureux quand même de retrouver ses frères et le travail qui leur permet de gagner leur vie :

Le temps passe vite ! il y a plus de 2 mois que je quittais les Philippines et plus qu’un mois que je rejoignais My-Tho (la ville où se trouve ma fraternité). C’est pour moi une grande joie d’être avec mes frères à l’endroit où j’ai été plus de 25 ans. C’est comme si ça me causait les sentiments de bonheur de retourner à la maison de mon père.

Thu et Trac

Depuis plus de 4 mois, Irénée-Thu, notre frère, était “enfermé” à My-Tho à cause de la pandémie sans pouvoir retourner à son dispensaire. Son occupation quotidienne : la retraite de vieillesse auprès du Tabernacle où Jésus l’attendait pour l’adoration, la contemplation, l’oraison ; et le reste du temps, il a traduit 580 textes de Charles de Foucauld recueillis et présentés par Richard Ledoux, frère de l’Instruction chrétienne (Avril 1996), en vue de la publication avant la date de canonisation du Frère Charles le 15 mai. Grâce à la cuisine raffinée de Joseph-Danh, la santé de Thu va en s’améliorant. Sa nourriture consiste en du potage au poisson, du lait, et des fruits de notre jardin, tout en évitant des produits de la mer qui faisaient augmenter le taux d’acide urique dans le sang, la cause de la maladie de la goutte. Pour la prévention de cette maladie, il faut de temps en temps prendre du potage aux pois verts entiers (avec l’écorce) cuits à l’eau seulement. C’est ce qui débarrasse l’acide urique du sang sans avoir besoin de médicaments, c’est la phytothérapie vietnamienne ! Joseph-Danh est très occupé : la cuisine, le jardinage et la fabrication des cierges pascals pour le diocèse de My-Tho : 150 cierges de 4 kg chacun. Et la livraison de ces cierges devrait être avant le début de décembre. Quand j’arrivais à My-Tho, le 13 octobre, il finissait 50 pièces et continuait sa tâche en me laissant la cuisine et le jardinage. Je commençai à tailler les pamplemoussiers, en abattant les vieux et en greffant de belles branches pour avoir de jeunes pieds à l’avenir… Je m’occupais de la cuisine et j’aidais à la décoration des cierges en croix et en chiffre 2022 et à la finition de notre produit. J’espère que notre fabrication des cierges finira vers le 5 décembre prochain.

Trac et une voisine

Au sud Viet-Nam, on a levé le confinement des gens le 1er octobre, mais la circulation d’une province à l’autre devenait difficile à cause des conditions obligatoires d’être vacciné 2 fois et, en arrivant, d’accomplir 7 jours de confinement chez soi et de passer un test à la fin. Pour les anciens contaminés, il fallait présenter l’attestation de la sortie de l’hôpital depuis moins de 6 mois et le certificat d’être testé 3 fois, etc… Pour ceux qui n’étaient pas vaccinés, ils pouvaient circuler en voiture privée ou en Honda ; cependant en arrivant, il leur fallait faire un confinement de 14 jours dans des centres spéciaux destinés à ces cas et il fallait y faire les tests 3 fois. Après plus d’un mois, beaucoup de tensions entre les gens, les nouveaux cas de contamination augmentaient de plus en plus, et aussi le nombre des morts chaque jour, de telle sorte que quelques provinces retournèrent au strict confinement d’avant. La distance de My-Tho à mon village est de 120 km ; pourtant je ne pouvais pas y aller pour visiter ma famille et surtout le tombeau de ma mère par la crainte d’apporter la maladie aux autres. En plus, je ne pouvais pas trouver des moyens de transport pour y aller. Depuis le temps où j’ai subi le traitement de Covid-19, j’ai compris que les anciens contaminés avaient le risque de mourir facilement. On trouvait des points faibles sur le corps humain pour la prévention. Avant d’être contaminé, j’avais déjà des problèmes cardiaques et de l’hypertension. On me traitait par tous les moyens et j’étais dans la normalité : mon médecin avec même diminué de moitié les médicaments. Mais quand j’ai été contaminé, la tension a augmenté ainsi que le rythme cardiaque de telle sorte que le médecin m’a fait entrer dans le service des urgences en doublant des médicaments à prendre : alors mon état s’est amélioré. Je suis sorti de l’hôpital après plus d’un mois et demi ; pourtant le rythme de mon cœur ne se stabilisait pas encore et parfois j’étais très fatigué quoi que je ne fasse aucun travail lourd.

La pandémie et la mort des gens nous mettaient dans la crainte. C’était l’occasion pour nous de constater la fragilité de la vie humaine et le besoin du secours de Dieu qui nous garde et nous protège. C’était aussi l’occasion de montrer de la bienveillance envers notre entourage. (Par contraste, il y avait des gens qui profitaient de la pandémie pour s’enrichir). On avait beaucoup d’occasions de montrer notre compassion envers les pauvres et les gens en détresse. J’admirais tant d’exemples de sacrifier la vie pour secourir des pauvres et des dépourvus. À My-Tho, la pandémie nous poussait à des gestes fraternels dans le voisinage en échangeant des légumes et des fruits de notre jardin et eux, ils nous répondaient par d’autres articles d’alimentation : quelques œufs, un morceau du porc… en signe de communion fraternelle entre voisins.

Après presque deux ans, nous avons pu enfin nous retrouver ensemble, les quatre frères du Vietnam pour choisir le délégué du chapitre et la répartition des frères en deux fraternités. Irénée Thu restait à My-Tho avec moi tandis que Joseph-Danh irait à Saigon pour être avec Gérard-Bien. Il quittera My-Tho, après s’être fait vacciner deux fois avant Noël prochain. Pour Irénée, il a décidé de ne pas accepter la vaccination tandis que pour moi, être vacciné est un acte de charité envers la communauté sociale, pour prendre soin de soi et des autres, en plus d’avoir de l’immunité contre le virus.

En presque trois ans, les frères d’Asie ont vu six départs de frères pour la fraternité du ciel qui grandit en nombre tandis que celle de la terre diminue à vue d’œil. Nous croyons à la communion des saints en demandant à nos frères du ciel d’intercéder pour nous qui sommes en lutte sur terre, afin que nous puissions avoir la vision de Dieu qui est Notre Père commun, à la fin de notre vie sur terre.

« À quoi sert ma présence dans ce pays? »

Soixante ans de profession religieuse ! Occasion bienvenue pour faire un bilan et “relire” les années de présence fidèle à un pays et à son peuple. C’est ce que fait Taher dans le message qu’il nous adresse depuis le Sud de l’Algérie où il habite :

Je ne pensais pas trop répondre à l’appel de Hervé à écrire un diaire car ce que j’ai à dire est trop profond en moi… et puis voilà que c’est aujourd’hui le 21 novembre, soixantième anniversaire de ma première profession religieuse… alors je m’y mets !

Depuis le déclenchement du « hirak », ce mouvement pacifique qui, il y a maintenant bientôt trois ans a voulu bousculer le « système » algérien, j’ai découvert combien ma vie avait été viscéralement solidaire de l’Algérie et il m’apparaissait que cela faisait partie intégrante de ma vie religieuse. Avec ce mouvement un grand espoir naissait en moi.

Mais il y avait cette scandaleuse phrase de Jésus : « Je ne prie pas pour le monde »… (Jn 17,9). Comment est-ce possible ? Avec la fin du « hirak », j’ai mieux compris que la venue de Jésus n’avait apparemment rien changé à notre monde. Je dirais même que depuis quelques dizaines d’années les choses s’aggravent : les hommes font souffrir notre planète, les inégalités s’accroissent et la crise migratoire en est un signe, la religion est utilisée contre Dieu et les hommes, et l’Algérie se referme sur elle-même. Comme Jean-Baptiste, j’ai parfois eu envie de dire : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Il me semble que rien n’a changé depuis que Satan disait à Jésus : « Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c’est à moi qu’il a été remis et que je le donne à qui je veux » (Lc 4,6). 

Alors à quoi sert ma présence dans ce pays ? Que dois-je faire pour répondre à cet appel que le Seigneur m’a adressé il y a plus de soixante ans ? Que dois-je demander dans la prière ?

Pour essayer de comprendre j’ai regardé Jésus. En lui Dieu a voulu se faire solidaire non seulement du petit peuple qu’il avait élu mais de toute l’humanité. Que l’on y pense : ce grand Dieu, créateur de tous les univers, est né d’une femme, a vécu une trentaine d’années homme parmi les hommes, s’est fait solidaire des pécheurs en chemin de conversion lors de son baptême par Jean, pour finalement mourir comme un brigand, et enfin retrouver la gloire qu’il avait avant que fut le monde. Avant que fut le monde…

Peut-être est-ce Charles de Foucauld qui a aidé l’Église à prendre conscience de l’importance de cette solidarité de Jésus-Dieu avec l’humanité en quête de libération. Et que c’est cette solidarité elle-même qui est porteuse de salut. Et si Jésus a annoncé le Royaume et créé l’Église, c’est pour que cette solidarité de salut se continue jusqu’à la fin des temps. À travers Jean n’est-ce pas de nous que Jésus parle en disant : « S’il me plait qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne ». Demeurer…

Il me semble que la béatification des 19 chrétiens d’Algérie qui ont été tués pendant les années 1990, manifeste que l’Église a bien intégré le message de Charles de Foucauld : ils étaient des gens comme vous et moi (j’en connaissais plusieurs), mais ils ont voulu “demeurer” en Algérie, à cause de Jésus et de l’Évangile, justement parce que les Algériens étaient dans un moment spécialement dur. L’Église doit demeurer là où le monde va mal.

La solidarité de la vie simple

Voilà, si le monde va mal, si l’Algérie va mal, c’est pour continuer l’œuvre de Jésus, que nous demeurons. C’est pour cela que, en tout lieu, doit être rappelé ce qu’il a fait, à savoir l’offrande de son corps et de son sang et le service de nos frères, c’est pour cela que l’Église existe et que nous sommes là.

Aujourd’hui 21 novembre, l’Église célèbre le Christ Roi de l’univers. Son Royaume n’est pas de ce monde et il ne changera pas ce monde. Je le sais maintenant. Et pourtant, c’est aujourd’hui que s’accomplit la bonne nouvelle annoncée aux pauvres : le Royaume des cieux est à eux. Oui, comme le dit l’hymne de ce matin : « Toute chose en Toi s’achemine vers sa beauté ; encore fragile, la joie effleure la terre ».

En souvenir d’Antoine Chatelard

Sans doute que beaucoup d’entre nous connaissent Antoine Chatelard pour avoir lu un de ses nombreux articles ou un de ses livres (« La mort de Charles de Foucauld », « Le chemin vers Tamanrasset » ou son tout dernier « Charles de Foucauld à Tamanrasset, un nouveau regard ») ou pour l’avoir rencontré lors de sessions ou conférences. Antoine nous a quittés le 1er janvier 2021, emporté par le virus du Covid. Quelques jours avant Noël, il écrivait aux frères de la région d’Afrique du Nord où il a vécu la plus grande partie de sa vie. Bien sûr, il leur parle de son dernier travail sur son ami Charles de Foucauld, livre qui était encore sous presse.

Tout est grâce !

Il nous est donné d’accueillir NOËL et la nouvelle année en même temps que le Covid 19. On s’organise donc face à une situation nouvelle sans bien savoir ce que nous réservent les jours qui viennent.

Merci de vos nouvelles et de vos vœux. Ils m’arrivent presque tous après un silence qui s’explique par les événements de cette année spéciale, qui remettent en cause les habitudes et les relations normales.

A ceux et celles qui se posent des questions sur mes occupations et sur mon nouveau livre je dois dire qu’il ne sortira qu’à l’annonce de la date de la canonisation pour des raisons commerciales évidentes. Il est chez l’éditeur depuis plus d’une année et ne parlera que de Charles de Foucauld à Tamanrasset en commençant par l’historique de l’Asekrem où il ne séjourna que quelques mois en 1911 et qui reste source de questions sur ses vraies motivations. Suivra un chapitre sur ses occupations de l’année suivante à Tamanrasset (1912) typique de sa conception des affaires du monde. Le chapitre 3 se limitera à ses seuls passages programmés à Marseille en 1913, avec un jeune touareg, dont on a encore jamais parlé, même dans les livres les plus récents. Enfin dans un dernier chapitre, la seule journée du 1/12/1913 à Tamanrasset nous permettra de le voir vivre dans ses différentes occupations en essayant de suivre son emploi du temps revu et corrigé.

Ce ne sera qu’une introduction pour d’autres sujets qui méritent des mises au point et peuvent nous révéler encore une forme de sainteté pas toujours évidente. J’apprends à l’instant que notre pape François ne s’est pas contenté de conclure son encyclique Tutti  Fratelli en parlant de lui mais qu’il vient d’offrir une biographie de ce futur saint aux membres de la Curie romaine, sans dire de quel livre il s’agit. En terminant « Fratelli Tutti » en mentionnant notre frère Charles il m’encourageait à poursuivre mon travail pour montrer avec plus de détails ce qu’a été sa vie fraternelle avec des hommes et des femmes qu’il a aimés, non pas seulement pendant une seule journée mais chaque jour, pendant les   dernières années de sa vie. Ce sont des centaines de personnes qui sont venues dans ce qu’il avait appelé « la fraternité » quand il rêvait encore de regrouper des disciples mais où il a toujours été seul.

Dans les premières années il notait seulement les noms des bénéficiaires de ses aumônes et de ses petits cadeaux, sur des feuilles détachées qu’on ne retrouve pas dans l’édition des carnets. Ce n’est pas sans importance car il nous fait connaître ainsi des centaines de personnes rencontrées, dès les premières années. En revanche pendant les trois dernières années il a noté chaque jour leur nom et on peut compter que quelques uns sont venus des centaines de fois. Ces chiffres sont importants pour comprendre l’importance de ces visites reçues auxquelles s’ajoutent celles qu’il va faire aux uns et aux autres.

Lui qui dans les premières années ne sortait pas à plus de cent mètres, n’hésite plus à faire des kilomètres pour aller chez ceux et celles qui sont malades, mais aussi pour visiter leur nouvelle maison ou pour voir leur jardin, alors qu’il est très occupé par son travail linguistique, par ses temps de prières et par une correspondance très abondante. Je voudrais montrer qu’il ne fait plus rien pour les convertir, même s’il en parle encore quelques fois, mais se sent le devoir de travailler à leur salut comme au sien, en les aimant comme ils sont et comme Jésus les aime. C’est ainsi que s’exprime dans les listes quotidiennes de ses carnets et aussi dans ses rares écrits personnels ou dans certaines lettres son souci du salut de chacun.

J’apprends donc à compter ces personnes, surpris de découvrir que beaucoup étaient encore vivants quand je suis arrivé à Tamanrasset et à l’Asekrem en 1955 et même bien plus tard.

C’est sûr qu’il a encore quelque chose à dire à notre Église et au monde, même si ce n’est pas nouveau. La reconnaissance officielle et universelle de sa sainteté sera un bon réconfort pour tous ceux qui se réfèrent à lui partout dans le monde et surtout parmi les évêques, les prêtres et les laïcs, religieux et religieuses qui se sont laissés inspirer par lui et qui ont disparu après avoir joué leur rôle dans le monde. Elle sera surtout un appel pour les jeunes qui ne s’intéressaient plus à ce témoin d’un autre siècle.

Mgr Henri Teissier

Oui merci à François, notre pape, qui aurait pu terminer en citant encore François d’Assise et qui nous a parlé de Charles comme s’il lui donnait un rôle important pour l’avenir de l’Église et du monde après la pandémie universelle qui retarde sa canonisation.  On n’a jamais autant parlé de notre bienheureux que ces derniers temps avec le décès de Mgr Teissier, le jour même de sa fête. L’ambassadeur d’Algérie en France s’est exprimé dans un langage prophétique, faisant de lui un saint et surtout un compatriote. La canonisation n’ajoutera pas grand-chose à ces cérémonies de Lyon et de N-D d’Afrique. Beaucoup avaient pu voir la revue « En Dialogue » n°14, sur Charles de Foucauld et les musulmans, sortie juste avant ces événements.

Je dois reconnaître que le vieillissement n’améliore pas mes possibilités de déplacement même à l’intérieur et malgré les séances de kiné à l’extérieur. Les événements m’occupent plus que mon travail sur Foucauld et la perspective trop lointaine de voir sortir mon livre ne m’encourage pas à travailler, même si des questions venues de partout y compris de  Tamanrasset et d’ailleurs en Algérie m’obligent à répondre sur des points de détails qui ne m’éloignent pas de son histoire. 

Dans la tempête Jésus nous dit: « N’ayez pas peur, c’est moi! Je suis avec vous »

Le Chapitre Général réuni à Avila à la mi mars 2022 avait publié un message destiné aux frères et aux amis des fraternités. En ce début d’année, dans les tempêtes qui secouent notre monde (guerres, catastrophes, pauvreté structurelle…), il est bon de le relire.

Chers frères et cher(e)s ami(e)s,

Nous nous sommes réunis en Chapitre à Avila, la terre de Sainte Thérèse de Jésus, et vous avez été bien présents dans nos échanges et nos prières. La personnalité et la vie de Thérèse d’Avila ne pouvaient pas ne pas marquer nos rencontres et nous interpeller tout au long de notre Chapitre :

«¡Nada te turbe! ¡Solo Dios basta!»  

« Que rien ne te trouble ! Dieu seul suffit ! »

Durant ce temps si important de réflexion, nous nous sommes arrêtés pour être attentifs aux situations que nous vivons, à toutes nos histoires tissées de nos nombreuses relations entre nous et autour de nous.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde très dur où souvent le profit triomphe sur les valeurs humaines, tandis que nos sociétés sont marquées par les corruptions, les injustices, les individualismes, les dictatures, les répressions sanglantes, les guerres fratricides. Et nous écoutons les cris et les pleurs des femmes et des hommes qui sont laissés au bord du chemin sans espérance, et de toute la création qui gémit dans l’attente d’un enfantement nouveau qui se fait tant attendre (cf. Rm 8,22) … Notre « Maison Commune » est traitée avec mépris. En tant qu’êtres humains, sommes-nous des frères et des sœurs entre nous ? Nous sentons-nous responsables les uns des autres ? Et notre terre est-elle encore notre mère nourricière dont il nous faut prendre soin ?…

D’autre part, nous sommes moins nombreux et plus âgés ; il y a moins de vocations dans la plupart des pays où nous sommes ; la maladie frappe certains d’entre nous : nous faisons l’expérience de beaucoup de limites !

Nous nous sentons si démunis et fragiles devant tous ces maux qui nous atteignent, nous et toutes celles et ceux dont nous partageons le chemin. Les faiblesses de nos amis sont devenues les nôtres. Et parfois c’est le désenchantement qui gagne nos cœurs meurtris, dans notre désir de suivre Jésus.

* * * * * * * *

Nous croyons que nous sommes avec Jésus, tous dans la même barque, mais les tempêtes qui se sont levées un peu partout autour de nous, ne manquent pas de nous effrayer : et Jésus est là, à l’arrière, qui dort !… Vers quelle rive donc, Jésus veut-il nous faire passer ?… Ce qui semble sûr, c’est qu’il veut nous faire quitter la terre ferme de nos petites sécurités : « Avance en eau profonde ! » nous dit Jésus.

Travail dans la salle du Chapitre

Nous avons été encouragés à vivre nos fragilités comme un temps de grâce que le Seigneur nous invite à accueillir en approfondissant notre relation personnelle et communautaire avec Jésus : il nous révèle le Visage du Père par sa vie nazaréenne au milieu des petits de ce monde. C’est ce qui a touché Charles de Foucauld, et nous aussi à sa suite. Nos propres fragilités ne sont pas un obstacle pour suivre Jésus, mais plutôt une ressource. C’est ce qui est arrivé à Pierre : sa faiblesse et sa trahison ont été l’occasion de se laisser renouveler et de rallumer sa passion pour le Seigneur.

Cette prise de conscience de notre faiblesse nous stimule à nous ouvrir aux autres et à faire attention à l’autre dans sa différence et sa pauvreté ! C’est une invitation à prendre soin les uns des autres, avec le regard de Jésus qui ouvre notre cœur vers l’autre !

Nous sommes invités à vivre, en communion entre nous, l’accueil de notre diversité due à nos contextes culturels et à nos caractères personnels différents, comme une richesse qui creuse et embellit notre appartenance à la Fraternité et à son charisme.

Nous apprenons sans cesse, chaque fois, à marcher ensemble avec les petits, les sans-voix et sans-influence de nos sociétés. C’est dans cet esprit que nous nous inscrivons dans la démarche actuelle de synodalité impulsée par le pape François. C’est avec eux, et souvent par eux, que nous découvrons l’amour dont Dieu nous aime toutes et tous, en partageant humblement leurs sorts, en amis et en frères…

Temps de prière au Chapitre

Comme écrit Ste. Thérèse d’Avila à ses sœurs : « Le Seigneur est au milieu des marmites ! N’hésitons pas à le retrouver à la cuisine ! » Oui, le Ressuscité est bien présent dans le banal et le quotidien le plus ordinaire, comme au milieu de nos doutes et de nos soucis. « C’est l’amour qui doit te recueillir en moi, et non l’éloignement de mes enfants : vois-moi en eux, et comme moi à Nazareth, vis près d’eux, perdu en Dieu » dit Jésus au frère Charles, dans une méditation, lorsqu’il réfléchit où s’installer dans le Hoggar.

Dans la Fraternité, nous avons parfois à affronter des conflits entre nous. Au cours de ce Chapitre, nous avons eu à y faire face, et nous l’avons vécu dans un climat d’écoute profonde et de prière pour permettre à chacun de s’exprimer, d’essayer d’entrer dans la problématique de l’autre en respectant la diversité des approches : temps extrêmement fort où nous avons fait l’expérience du souffle vivifiant de l’Esprit.

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Jésus est bien à nos côtés, même si, peut-être trop souvent, nous ressentons plus son absence que sa présence au milieu de ce monde où nous sommes immergés, au milieu de nos activités quotidiennes mêlées à tant de tempêtes. C’est Lui qui nous dit : « N’ayez pas peur, c’est moi ! Je suis avec vous ! » (Jn 6,20). Nous avons en effet confiance que toutes nos fragilités personnelles et institutionnelles permettent au Seigneur de se révéler à travers nos faiblesses. « Ma grâce te suffit. Ma puissance se déploie dans ta faiblesse ! » (2Co 12.9)

Nous sommes conscients que nous sommes en chemin et que ce chemin nous demande beaucoup d’humilité, mais en même temps une confiance absolue dans la manière qu’a le Seigneur de marcher avec nous… Cela demande aussi beaucoup de souplesse et de créativité dans la façon d’avancer ensemble, avec Jésus qui nous a invités à le suivre sur les chemins de Nazareth.

Avançons donc avec Lui, le cœur plein de reconnaissance pour ces sentiers d’humanité que son Esprit nous fait découvrir, et laissons-nous emporter par son Souffle en toute confiance !

« Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19)…

Les participants au Chapitre

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Le Chapitre a élu la nouvelle équipe de responsables généraux. De gauche à droite:

Mirek (Polonais qui vivait en Pologne), Sang-Shim (Coréen, élu pur un deuxième mandat),

Laurent (Français qui vivait à Rome) et Rodrigo, notre nouveau prieur (Mexicain qui vivait à Cuba)

Une présence de gratuité

Dans plusieurs régions de la Fraternité, les frères ont pris l’habitude de partager régulièrement une lettre circulaire régionale: c’est le cas des frères d’Egypte et du Proche-Orient. Dans ces lettres, le ton est souvent plus personnel parce que les frères se connaissent bien. C’est le partage d’Amir, notre frère Egyptien, que nous lisons ici:

Avant d’écrire mon partage, je voudrais tous vous remercier pour le partage mensuel profond et fraternel, concret et parfois douloureux. Certainement que notre frère François qui nous a quittés reste attentif à nous et prie pour nous. Dans la chapelle de la fraternité de Choubra, à côté de l’icône de la Nativité, j’ai mis les photos de tous nos frères de la région qui ont fait le passage, et évidemment avec eux Mgr Henri Tessier parti le jour même de la mort du frère Charles. Comme l’a dit l’ambassadeur algérien, saint Charles et le père Henri Tessier sont deux algériens qui ont vécu la fraternité et l’amitié avec tous. Tous ces frères partagent avec nous ce que nous vivons, illuminés par l’espérance de l’Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu Amour. C’est Lui qui conduit le monde et nous conduit avec nos frères et nos amis particulièrement avec vous, frères du Liban et de Syrie.

Deux événements ont marqué ce mois : l’anniversaire du frère Charles et Noël.

Le vendredi 4 décembre nous avons célébré la mémoire du frère Charles par une messe avec la paroisse de Choubra al-Khayma et avec la présence de deux petites sœurs : Salwa et Nermine. Elles ont parlé de la Parole de Dieu qui crée, comment elle a fait œuvre de création en frère Charles, par cet instrument de la miséricorde divine que fut sa cousine, et par l’accueil de Dieu pour lui comme un tendre père, et par sa méditation assidue de la parole comme une goutte d’eau tombant toujours au même endroit, et enfin par son amour pour tous, particulièrement les pauvres et les pécheurs. Après la messe, ps Salwa m’a dit : «Charles est devenu un saint aimé par le peuple égyptien » représenté par la paroisse de Choubra al-Khayma. Je crois que c’était la première fois que les deux petites sœurs ont vu l’icône du frère Charles portée en procession précédée par les chantres, tournant à l’intérieur de l’église. Je me souviens que la première fois, ça m’avait profondément touché et je me disais: « Charles, tu as vécu caché, et maintenant tu as porté beaucoup de fruits » Beaucoup de paroissiens implorent son intercession, et, selon leur foi, le frère Charles a fait des miracles pour des membres de leurs familles.

Procession avec la photo du frère Charles

Le samedi 5 décembre, il y a eu une rencontre des amis du frère Charles – petit frère et petites sœurs et membres de la fraternité séculière et amis – pour un partage de vie profond et personnel, suivi d’une méditation partagée sur la visite de Jésus à Marthe et Marie (Lc 10/38-42), avec un commentaire du frère Charles sur ce texte et une question proposée pour le partage : que penses-tu de l’attitude de Marie et de celle de Marthe ? Qu’est-ce que Jésus veut m’apprendre, sachant que Marthe n’a pas fauté, mais qu’elle voulait accueillir ce grand hôte ? Où te tiens-tu ? En fonction de ton expérience, comment vivre l’équilibre dans notre vie entre Marthe et Marie ? Tous étaient assoiffés de cette rencontre qui a porté du fruit chez tous les participants.

Le deuxième événement touche la préparation à Noël. Avec un groupe de laïcs nous avons proposé une animation spirituelle répartie sur quatre soirées, sur le thème « La Parole de Dieu crée », avec la présence de prêtres pour la prédication, qui ont centré leur propos sur « Comment lisons-nous et méditons-nous la parole de Dieu, et comment la mettons-nous en pratique, particulièrement par la réconciliation fraternelle et le souci des pauvres » Il y avait un temps de méditation de la parole et de partage entre les participants, ainsi qu’un temps d’adoration du Saint Sacrement. Au cours de ces veillées spirituelles, le curé (Abouna Mikhaïl) m’a confié personnellement qu’il y a un jeune prêtre qui viendra l’aider et appendre de son expérience. Le lendemain j’ai demandé à le voir et j’ai parlé avec lui de l’importance que le nouveau prêtre soit responsable de la formation. Je lui ai dit : « Tout ce que je vis avec toi et avec les gens ici vient de mon affection pour toi et de mon amour pour les gens et pour l’église ». Il me dit : « Je le sais, et je sais que tu veux vivre la radicalité de ta vocation comme une présence de gratuité, et je sais que notre expérience ensemble est une grâce de Dieu et j’en parle avec tous. Nous vivons ensemble comme deux petits frères de Jésus ». Je lui ai dit : « Tu as compris ce que je voulais te dire ». Il m’a dit : « Je suis avec toi et je t’aiderai. Mais l’important est que les choses se passent en douceur pour que les gens en aient une juste compréhension ».

Vous savez que l’Egypte essaye de se construire en tant que pays, en mobilisant toutes ses forces: individus et institutions. Elle essaye d’édifier une nouvelle république. Cela est sensible dans le développement des villages, la construction partout de nouveaux logements pour les jeunes, le développement des voies de communication et des ponts, l’intensification de l’attention portée à la santé de la population. il se peut que ces efforts pèsent aussi sur les revenus limités des gens: les gens se plaignent de la montée des prix de l’électricité, du gaz et de l’eau, la cherté croissante des denrées de base, les taxes perçues pour les papiers officiels.

Ces jours-ci se tient un congrès sur une question sensible en Egypte: celle des droits de l’homme. Quelqu’un a écrit: « Un bond a été fait en de nombreux domaines: nous avons besoin d’un bond sur la question des droits de l’homme. » C’est sûr qu’après des années de peur est venu désormais le temps de la démocratie….

« Espérer contre toute espérance. »

Bertrand

Le Liban: on ne peut pas prononcer le nom de ce pays sans penser aux difficultés de tous ordres qu’il traverse. Comment font les gens pour tenir debout? Bertrand, qui vit au Liban depuis très longtemps, nous partage ce qui l’aide à garder l’espérance.

Avec cette pandémie qui n’en finit pas, qui fauche parents, amis et connaissances et qui nous confine de plus en plus, bien des questions surgissent sur la mort, la solitude, le sens de cette vie…. et peut-être la question qui sous-tend toutes les autres : Quelle est mon espérance en ces temps si difficiles ?

A plusieurs reprises ces derniers temps, j’ai essayé d’encourager des amis par cette petite phrase : « Toujours en avant, avec confiance et espérance ! ». Aussi dans nos directives, rédigées après le lancement de « oukhouwetna » (« notre fraternité ») en avril 2014, nous avons fondé notre petit groupe interreligieux sur 3 principes fondamentaux : amour/vérité , respect et espérance.

Mais qu’est-ce qui fait que je garde espérance devant tous ces problèmes qui nous submergent et risquent de nous écraser ? Saint Paul écrit, en parlant d’Abraham : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples, selon la parole : Telle sera ta descendance. ». Il établit un lien direct entre la foi et l’espérance. Et dans Rom 4,20-21, il poursuit : « Devant la promesse divine, il ne succomba pas au doute, mais il fut fortifié par la foi et rendit gloire à Dieu, pleinement convaincu que, ce qu’il a promis, Dieu a aussi la puissance de l’accomplir. ».

Au Liban, dans les circonstances dramatiques actuelles, qu’est-ce qui me fait tenir ? A quoi est-ce que je m’accroche et qui m’aide à avancer et à espérer ?

Avant de répondre à ces questions, faisons un petit détour dans les 3 grandes traditions religieuses qui prennent Abraham comme « Père des croyants », on pourrait dire « Père des croyants qui espèrent » :

Dans le livre de la Torah, Dieu veille sur l’humanité pécheresse et s’engage avec elle. Mais c’est avec Abraham que commence vraiment l’histoire de l’espérance biblique. La promesse est simple : Une terre et une nombreuse postérité. Pendant des siècles, les objets de l’espérance d’Israël resteront du même ordre terrestre : « la terre où coulent le lait et le miel » (Ex, 3, 8.17) et toutes les formes de la prospérité. Face aux vicissitudes de l’histoire, les prophètes vont ouvrir de nouvelles perspectives. L’infidélité même du peuple ne doit pas l’empêcher d’espérer. Si le salut peut tarder, il est certain, car c’est le Seigneur, fidèle et miséricordieux,  qui est son espérance. Les prophètes aspirent aussi au jour où Jacob sera rempli de la connaissance de Dieu, parce que Dieu aura renouvelé les cœurs du peuple choisi, tandis que les nations se convertiront. Pour les prophètes, l’espérance d’Israël et des nations, c’est le Seigneur lui-même et son règne.

Dans l’Evangile, comme je l’ai déjà mentionné, nous sommes appelés comme Abraham à « espérer contre toute espérance », en raison de notre foi aux promesses (Rom 4, 18-25) et de notre confiance en la fidélité de Dieu. L’espérance de Paul, c’est avant tout d’être avec le Christ. L’espérance johannique ne cesse pas d’être attente du retour du Seigneur, de la résurrection et du jugement, mais elle préfère se reposer dans la possession d’une vie éternelle déjà donnée maintenant au croyant. A la fin du Livre de l’Apocalypse, l’Epoux promet : « Mon retour est proche ». Et l’Epouse lui répond : « Viens, Seigneur Jésus ! » (« Marana tha ! »).

  Le Coran et la tradition musulmane accordent une place particulière à Abraham, « Sayyidna Ibrahim » (« notre père, notre maître Ibrahim »), dénommé « khalil  Allah » (« l’ami de Dieu »). Il est présenté aux musulmans comme le vrai croyant soumis à Dieu. Dans son cheminement vers son Seigneur, le musulman oscille entre la crainte et l’espérance, la crainte que ses œuvres ne soient pas agréées et qu’il  soit châtié à cause de ses péchés et l’espérance d’être guidé, de voir ses œuvres acceptées, ses péchés pardonnés et d’entrer au Paradis. Le croyant musulman met toute son espérance dans le pardon et la miséricorde de Dieu.

Et finalement pour moi aujourd’hui, dans notre secteur Liban-Syrie secoué actuellement par tant de crises (économique, financière, sociale, politique et sanitaire…) et de drames humains, qu’est-ce qui me fait tenir debout et espérer ?

Tout d’abord, ce qui me fait vivre, ce sont tous les liens  tissés depuis 40 ans avec  des voisins, des collègues et des amis. Ce long chemin de vie ensemble, marqué au Liban par des tensions, des conflits, mais aussi des années plus paisibles, nous a profondément liés les un(e)s aux autres et nous aide à affronter ensemble la dure réalité actuelle.

Ensuite, c’est notre vie de fraternité qui nous stimule, nous soutient et nous procure vie et joie, mais  qui parfois nous déçoit et nous fait souffrir à cause de nos histoires et nos personnalités si différentes et des limites de chacun; c’est une réalité vivante qui nous permet d’exister, de mûrir et de grandir, mais qui nous remet aussi à notre place et nous émonde. Essayer de vivre la fraternité entre nous, patiemment, jour après jour, est vraiment une réponse, à notre niveau, au grand défi actuel de l’accueil de l’autre différent et du vivre ensemble.

Entre frères à Beyrouth

C’est aussi  le courage de tant de femmes et d’hommes de par le monde qui luttent actuellement pour le respect des droits humains et pour la sauvetage de notre Terre  et de toutes les personnes qui s’engagent activement dans leur pays pour plus de vérité, de justice et de démocratie, parfois au prix fort, comme par exemple en Biélorussie depuis des mois. Cela aussi me donne du courage et me fait espérer qu’il n’y a pas de fatalité et qu’on peut s’engager, là où l’on habite,  pour plus d’humanité, de justice et de paix.  

  Enfin, c’est la foi que Dieu réalise ses promesses. Dieu est « le rocher ». Ce nom symbolise son immuable fidélité, la vérité de ses paroles et la solidité de ses promesses. Au long de l’histoire du salut, Dieu reste fidèle, même si nous nous ne le sommes pas : « Si nous lui sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tim 2, 13)

1er décembre: Saint Charles de Foucauld

À l’occasion de la fête de saint Charles de Foucauld, nous vous proposons de relire la belle homélie du pape François, le 15 mai 2022, le jour de la canonisation de Charles avec 9 autres saints et saintes.

Nous avons entendu ces paroles que Jésus confie à ses disciples, avant de passer de ce monde au Père, des paroles qui nous disent ce que signifie être chrétiens : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » » (Jn 13, 34). C’est le testament que le Christ nous a laissé, le critère fondamental pour discerner si nous sommes vraiment ses disciples ou non : le commandement de l’amour. Arrêtons-nous sur les deux éléments essentiels de ce commandement : l’amour de Jésus pour nous – comme je vous ai aimés – et l’amour qu’il nous demande de vivre – aimez-vous les uns les autres.

Comme je vous ai aimés…

Tout d’abord, comme je vous ai aimés. Comment Jésus nous a-t-il aimés ? Jusqu’au bout, jusqu’au don total de lui-même. Il est frappant de constater qu’il prononce ces paroles par une nuit sombre, alors que l’atmosphère du Cénacle est pleine d’émotion et d’inquiétude : émotion parce que le Maître est sur le point de dire adieu à ses disciples, inquiétude parce qu’il annonce que l’un d’entre eux va le trahir. Nous pouvons imaginer quelle douleur Jésus portait dans son âme, quelles ténèbres s’amoncelaient dans le cœur des apôtres, et quelle amertume en voyant Judas quitter la pièce pour entrer dans la nuit de la trahison, après avoir reçu la bouchée trempée pour lui par le Maître. Et c’est précisément à l’heure même de la trahison que Jésus confirme son amour pour les siens. Car, dans l’obscurité et les tempêtes de la vie, c’est cela l’essentiel : Dieu nous aime.

Cette annonce, frères, sœurs, doit être au centre de la profession et des expressions de notre foi : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (1Jn 4, 10). N’oublions jamais cela. Au centre, il n’y a pas notre capacité, nos mérites, mais l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu, que nous n’avons pas mérité. À l’origine de notre être chrétien, il n’y a pas des doctrines ni des œuvres, mais l’émerveillement de nous découvrir aimés, avant toute réponse de notre part. Alors que le monde veut souvent nous convaincre que nous n’avons de valeur que dans la mesure où nous produisons des résultats, l’Évangile nous rappelle la vérité de la vie : nous sommes aimés. Et c’est notre valeur : nous sommes aimés. Un maître spirituel de notre époque a écrit : « Avant même qu’un être humain puisse nous voir, nous étions vus par les yeux aimants de Dieu. Avant même que quelqu’un nous entende pleurer ou rire, nous étions entendus par notre Dieu qui est toute écoute pour nous. Avant même que quelqu’un en ce monde nous parle, la voix de l’amour éternel nous parlait déjà » (H. Nouwen, Sentirsi amati, Brescia 1997, p. 50). Il nous a aimés le premier, il nous a attendus. Il nous aime, il continue de nous aimer. Et c’est notre identité : nous sommes aimés par Dieu. C’est notre force : nous sommes aimés par Dieu.

Cette vérité nous demande de nous convertir sur l’idée que nous nous faisons souvent de la sainteté. Parfois, en insistant trop sur les efforts pour accomplir de bonnes œuvres, nous avons généré un idéal de sainteté trop fondé sur nous-mêmes, sur l’héroïsme personnel, sur la capacité de renonciation, sur le sacrifice de soi pour gagner une récompense. C’est une vision parfois trop pélagienne de la vie, de la sainteté. Nous avons ainsi fait de la sainteté un objectif inaccessible, nous l’avons séparée de la vie quotidienne au lieu de la rechercher et de l’embrasser dans le quotidien, dans la poussière de la rue, dans les efforts de la vie concrète et, comme le disait Thérèse d’Avila à ses sœurs, « au milieu des casseroles de la cuisine ».  Être disciples de Jésus et marcher sur le chemin de la sainteté, c’est avant tout se laisser transfigurer par la puissance de l’amour de Dieu. N’oublions pas la primauté de Dieu sur le moi, de l’Esprit sur la chair, de la grâce sur les œuvres. Parfois on donne plus de poids, plus d’importance au moi, à la chair et aux œuvres. Non ! le primat de Dieu sur le moi, le primat de l’Esprit sur la chair, le primat de la grâce sur les œuvres.

…vous devez aussi vous aimer les uns les autres.

L’amour que nous recevons du Seigneur est la force qui transforme notre vie : il dilate notre cœur et nous prédispose à aimer. C’est pourquoi Jésus dit – et c’est le deuxième aspect – « comme je vous ai aimés, vous devez aussi vous aimer les uns les autres ». Ce comme n’est pas seulement une invitation à imiter l’amour de Jésus ; il signifie que nous ne pouvons aimer que parce qu’il nous a aimés, parce qu’il donne son Esprit à nos cœurs, l’Esprit de sainteté, l’amour qui nous guérit et nous transforme. C’est pourquoi nous pouvons faire des choix et accomplir des gestes d’amour dans chaque situation et avec chaque frère et sœur que nous rencontrons, parce que nous sommes aimés et que nous avons la force d’aimer. De même que je suis aimé, je peux aimer. Toujours, l’amour que je réalise est uni à celui de Jésus pour moi : “comme je vous ai aimés”. Tout comme il m’a aimé, ainsi je peux aimer. La vie chrétienne est aussi simple que cela, elle est si simple ! C’est nous qui la rendons plus compliquée, avec tant de choses. Mais en réalité elle est aussi simple que cela.

Et, concrètement, qu’est-ce que cela signifie de vivre cet amour ? Avant de nous laisser ce commandement, Jésus a lavé les pieds à ses disciples ; après l’avoir annoncé, il s’est livré sur le bois de la croix. Aimer signifie ceci : servir et donner sa vie. Servir, c’est-à-dire ne pas faire passer ses propres intérêts en premier ; se désintoxiquer des poisons de la cupidité et de la concurrence ; combattre le cancer de l’indifférence et le ver de l’autoréférentialité ; partager les charismes et les dons que Dieu nous a donnés. Se demander concrètement : « qu’est-ce que je fais pour les autres ? » C’est cela aimer. Vivons les choses ordinaires de cette vie dans un esprit de service, avec amour et sans bruit, sans rien revendiquer.

Une sainteté de l’amour quotidien

Et puis donner sa vie, ce qui ne se réduit pas à offrir aux autres quelque chose, comme une partie de ses biens, mais ce qui veut dire se donner soi-même. J’aime demander aux gens qui me demandent des conseils : “Dis-moi, tu fais l’aumône ?” – “Oui, Père, je fais l’aumône aux pauvres” – “Et quand tu fais l’aumône, est-ce que tu touches la main de la personne, ou jettes-tu l’aumône et tu te nettoies la main ?” Et ils rougissent : “Non, je ne la touche pas”. “Et lorsque tu fais l’aumône, regardes-tu la personne que tu aides dans les yeux ou regardes-tu ailleurs ?” – “Je ne la regarde pas”. Toucher et regarder, toucher et regarder la chair du Christ qui souffre dans nos frères et sœurs. C’est très important. C’est cela, donner la vie. La sainteté n’est pas faite de quelques gestes héroïques, mais de beaucoup d’amour quotidien. « Es-tu une consacrée ou un consacré ? – ils sont nombreux, aujourd’hui, ici – Sois saint et sainte en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ou mariée ? Sois saint et sainte en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ou une femme qui travaille ? Sois saint et sainte en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères, et en luttant pour la justice de tes compagnons, pour qu’ils ne restent pas au chômage, pour qu’ils aient toujours le juste salaire. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint et sainte en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. Dis-moi, as-tu de l’autorité ? – et ici il y a tant de gens qui ont de l’autorité – Je vous demande : as-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels » (cf. Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate, n. 14). C’est cela le chemin de la sainteté, aussi simple que cela ! Regarder toujours Jésus dans les autres.

Il n’existe pas de sainteté photocopiée…

Nous aussi nous sommes appelés à servir l’Évangile et les frères, à offrir notre vie sans retour – c’est le secret : offrir sans retour –, sans chercher la gloire mondaine. Nos compagnons de route, canonisés aujourd’hui, ont vécu la sainteté de cette manière : ils se sont dépensés pour l’Évangile en embrassant leur vocation avec enthousiasme – comme prêtres, certains, comme personnes consacrées, d’autres, comme laïcs –, ils ont découvert une joie sans comparaison et ils sont devenus des reflets lumineux du Seigneur dans l’histoire. C’est cela un saint ou une sainte : un reflet lumineux du Seigneur dans l’histoire. Essayons, nous aussi, de faire de même : le chemin de la sainteté n’est pas fermé, il est universel, c’est un appel pour nous tous, il commence par le Baptême, il n’est pas fermé. Essayons, nous aussi, parce que chacun de nous est appelé à la sainteté, à une sainteté unique et non reproductible. La sainteté est toujours originale, comme le disait le bienheureux Carlo Acutis : il n’existe pas de sainteté photocopiée, la sainteté est toujours originale, elle est la mienne, la tienne, celle de chacun de nous. Elle est unique et non reproductible. Oui, le Seigneur a un plan d’amour pour chacun de nous, il a un rêve pour ta vie, pour ma vie, pour la vie de chacun de nous. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Vous aussi faites aller de l’avant ce plan d’amour, avec joie. Merci.

« Si la graine meurt, elle pourra devenir un arbre qui grandit… »

La fraternité de Saïgon, au Vietnam, a une longue histoire: Yves et Pierre qui y vivaient ont traversé les grands changements qu’a vécus le pays dans la deuxième moitié du XXème siècle. Ils sont tous les deux décédés ces dernières années. Gérard-Biên qui les a accompagnés nous parle de l’héritage qu’ils nous ont laissé: ouvrir notre cœur pour l’accueil.

Mes chers Frères,

        L’année dernière, j’ai reçu, par emails, courriers, messages sur Messenger ou par communications sur Viber, des mots pleins de sollicitude de la part des frères de toutes les régions du monde. Tous, vous vouliez savoir comment se présentait notre vie à la fraternité de Saigon, après le départ des frères Yves et Pierre, les deux derniers vétérans, les deux derniers grands chênes du Viêt Nam. À vous tous mes sincères remerciements.

Les grands chênes, Pierre et Yves

       Votre souci est aussi une question qui me tourmente depuis des années, depuis mon arrivée à Saigon pour m’occuper des deux frères âgés et les accompagner. Quelle sera ma vie quand les deux frères ne seront plus là ? Une question capitale ! Car les deux frères avaient vécu ici pendant plus de 55 ans, et depuis, il y a eu tant de changements ! Maintenant qu’ils ne sont plus là, la cruelle vérité est que nous ne pouvons faire référence au passé pour revivre une situation qui, dans la réalité, n’existe plus. Quelles que soient les merveilles du passé, nous devons regarder vers l’avenir.

       Comme je l’ai dit une fois dans notre circulaire de nouvelles, les deux frères ont laissé un grand héritage : ce sont des amis, très nombreux. Un héritage qui a une valeur historique puisqu‘il s’est constitué pendant environ 60 ans. Nous qui sommes de la génération suivante, nous devons respecter, entretenir et faire fructifier davantage cette amitié si précieuse. Pourquoi ? Parce que cet héritage est le sens fondamental de l’esprit Charles de Foucauld : « être frères de tous ». Nous restons fidèles dans cette orientation : cette vie nous pouvons la résumer en un seul mot : « Accueil ». Mais l’accueil d’aujourd’hui revêt davantage une dimension universelle. Accueillir non seulement les jeunes qui sont intéressés par la vocation des Petits Frères, mais encore toutes les personnes qui viennent vers nous, des personnes de toutes catégories, de toutes classes sociales, des nouveaux pauvres de notre pays. Il ne s’agit pas forcément des pauvres sur le plan matériel, mais des pauvres sur le plan moral, des laissés pour compte, des gens seuls, des gens victimes de discriminations dans cette société de progrès, que nous rencontrons tous les jours sur notre chemin. C’est une foule de gens sans nom, des gens qui ont besoin d’être écoutés, accueillis, aimés et respectés. Ce sont des pauvres de notre époque. Chaque époque a ses pauvres.

       Les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas les pauvres d’autrefois, c’est-à-dire d’il y a 50-60 ans. Aujourd’hui, il n’y a plus d’images de paillotes aux murs d’argile, il n’y a plus d’ouvriers, de travailleurs manuels en guenilles, vivant dans des taudis. De nos jours, la plupart des travailleurs manuels et des ouvriers ont un petit logement convenable avec des appareils de confort : lave-linge, frigidaire, télévision, téléphone portable, Smartphone, ordinateur portable, moto Honda… Des objets de confort auxquels les pauvres d’il y a 50 ans n’osaient pas rêver. La fraternité de Saigon se trouve, aujourd’hui, encerclée et plongée au fond d’un quartier hérissé d’immeubles élevés.

       Toutefois, les pauvres d’aujourd’hui ne se sentent pas heureux avec leurs appareils de confort, et des immeubles luxueux tout autour. Ils aspirent à quelque chose de différent que ces choses matérielles ne peuvent leur apporter : c’est « l’amour des hommes », « l’amour et l’amitié véritables ».

une maison accueillante…

       Pourquoi ces gens viennent-ils vers nous ? Parce qu’ils savent, avec certitude, qu’ils trouveront à la fraternité ce qu’ils ont secrètement cherché. Ils sont convaincus qu’ils seront accueillis, écoutés et respectés. Ils peuvent dire tout ce qu’ils ressentent sans craindre d’être critiqués ou condamnés. Car ils trouvent que les Petits Frères sont proches d’eux, qu’ils ne sont pas des étrangers, mais des frères pour eux.

       En nous tournant vers une telle orientation nouvelle, nous ne pensons pas qu’il y ait une rupture entre les frères qui nous ont précédés et notre génération. Au contraire, c’est un épanouissement naturel des étapes de la vie ; c’est une réalisation et une authentification, un enrichissement du charisme des Petits Frères. Le mystère de Nazareth ne sera jamais épuisé. L’esprit de Nazareth appartient à tout le monde, sans exception. La fraternité reste la maison de tout le monde et les Petits Frères restent et resteront « frères de tout le monde ».

       La vie des frères Yves et Pierre pendant plus de 50 ans, à la fraternité de Saigon, représentait une étape d’enfouissement, de silence de la « graine ». Et comme l’a dit Saint Jean : « si la graine meurt, et elle doit mourir, alors elle pourra devenir un arbre qui grandit, portant beaucoup de fruits ». Cette étape d’enfouissement est très importante : sans cette étape, il n’y aura jamais l’étape suivante, celle de l’arbre comme aujourd’hui.

     Chers Frères, comme vous le voyez, le trait dominant de la nouvelle étape à la fraternité de Saigon aujourd’hui, c’est l’ACCUEIL et l’esprit de PAUVRETÉ qui doit être compris comme la CAPACITÉ à ouvrir davantage notre cœur pour l’accueil. Il n’y a que les vrais pauvres qui soient capables d’accueillir.

       C’est parce que nous désirons accueillir tout le monde que nous avons l’intention de rénover la maison, la faire agrandir pour qu’elle soit plus accueillante, et agrandir un peu la chapelle pour ceux qui souhaitent prier dans le calme. Actuellement, la fraternité ressemble à un oasis au milieu d’un grand désert de béton. Un oasis de tranquillité, de paix et d’amour des hommes.

La chapelle de la fraternité